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pont du pertuis
14 septembre 2007

Journal Sud-Ouest, 14 septembre 2007

PATRIMOINE. --A Bacalan, une équipe de solides marins a défendu corps et âme l'intégrité du site.Le port ne sera pas un mausolée. Rencontres musclées autour des bassins à flot

2. Des cacahuètes plein les poches

:Isabelle Castéra

Morts de rire. Autour de la table en bois, dans ce cabanon au bord du bassin à flot numéro 2, les vannes s'enfilent au rythme des verres de blanc. Il est 1 heure au soleil et il fait chaud. Les trois marins se tiennent les côtes. « Une marinade ici, à Bacalan, on rêve ? Une bétonade oui ! » lance l'un, puis l'autre « tu la connais celle-là ? L'éclésiaste dit : « Il pleut toujours où c'est mouillé », tandis qu'à Bacalan c'est toujours mouillé quand il a plu ! » Bon. Encore une ? « Il paraît qu'on a rendu le fleuve aux Bordelais, il leur manque juste un port maintenant... »
Ces trois costauds, mais d'autres, beaucoup d'autres, ont participé, à Bacalan, à la défense du site. Ecluses et pont du Pertuis. Dès 2004, des associations de quartier fédérées autour d'une même mission : sauver l'intégrité des bassins. Patrick Picot, Pierre Cétois, Albert Garcia et eux. Toujours un pied dans le port et un autre à bord. Une bande de potes, les coudes serrés et le rire large.
Robert Venturi, visage tanné, le coeur profondément amarré au quartier. « J'ai débarqué à Bacalan à 4 ans, j'ai appris à nager dans l'écluse. Comme tous les gosses. Ici, on n'avait pas peur de l'eau je peux dire. Un bourg, cosmopolite, avec des Espagnols, des Italiens, des Arabes. Beaucoup d'émigrés à cause de l'activité industrielle. Les gens vivaient dehors, ça piaillait dans tous les sens, vous savez cette vie du Sud... » Robert Venturi tient l'association de défense des intérêts de Bacalan. « Le quai entre le pont du Pertuis et la Base sous-marine, ose-t-il, je l'appelle le quai des rêves. Il y a encore des gens qui vivent sur leur bateau, même si c'est pas trop autorisé. Et d'autres qui réparent un rafiot pour partir loin. C'est pas beau ça ? »

Voleurs de charbon. L'appel du large, ils connaissent aussi. Michel Faure, gros bras de l'association Hissez Haut et propriétaire d'un voilier prénommé « Camille », du prénom de sa petite-fille. « J'ai un peu honte, avoue-t-il. J'habite à Caudéran aujourd'hui, ouais je sais, ça la fout mal. Mais, je suis tous les jours ici, j'ai participé à la défense du port. »
Pareil pour Robert Rous, président de l'association de plaisanciers Lagon bleu. Fonctionnaire de police à la retraite, celui-là est un taiseux. « Policier ? C'est là que les balles blessent », rigolent les autres, toujours prêts au calembour. « J'ai trouvé ma famille dans ce coin de Bordeaux, martèle-t-il. Bacalan s'est construit autour des bassins à flot, de cette vie de marins. »
« On résiste, poursuit Venturi. Notre enfance nous hante : l'odeur, les bollards, les poulies, les canons. Je me vois gosse, au cul des bateaux, ramasser du charbon pour chauffer les maisons. C'était notre boulot. Et au passage, les cacahuètes de l'huilerie. On s'en foutait plein les poches et après, on les faisait griller sur les cuisinières. C'était pas du vol, parce qu'on était pauvres... mais riches de ça. Les "court-vite" on nous appelait ». « Et les toubibs, reprend Michel. Rappelez-vous : tu payais quand t'avais les sous. Ils auscultaient toute la famille au passage. Ils mangeaient à notre table et, quand y'en avait un qui avait la télé on était trente autour. »
Et puis les vieux cinoches, le Familia et le Renoma, la Maison du peuple aussi, qui servait de salle de réunion pour les communistes, de salle de bal en même temps.

Le pont presqu'un Eiffel. Robert Venturi se frotte le crâne. La bataille pour sauver les lieux historiques portuaires n'est pas achevée. « On a cherché des documents indiquant qu'Eiffel avait travaillé sur ce pont du Pertuis. Rien. Ca nous aurait arrangé. Découper ce pont en tranches, j'y crois pas. L'inscription de la ville au patrimoine mondial de l'Unesco a été gagnée grâce à qui ? Aux bassins à flot de Bacalan. Pour beaucoup ! Et un peu pour le reste... On a sauvé la grande écluse, grâce à la mobilisation de toute la population de Bacalan, avec le soutien des élus. 2 000 signatures, presque. C'est pas pour faire un mausolée ni un miroir d'eau ! »
A Bacalan, cet autre bout de Bordeaux, il y a des hommes qui rient. La Garonne rendue aux Bordelais ? « Tu parles... » Une Fête du fleuve avec seulement deux vieux gréements qui se battent en duel, devant quelques tentes blanches. Alors qu'eux rêvent de dizaines de bateaux, de voiliers aux toiles gonflées par l'air du large.

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